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22 janv. 2020

Lettre ouverte de Jürg Stäubli à M. Alpha Condé, Président de la République de Guinée

Monsieur le Président de la République,

Vous êtes chef de l’État depuis le 21décembre 2010, ce qui fait donc un peu plus de9 ans. Toutes ces années, vous avez vécu des périodes difficiles, dû affronter des turbulences économiques, politiques et sécuritaires. Vous vous en êtes acquitté avec brio, avez fait baisser la dette de l’État de manière spectaculaire, ramené la Guinée sur le chemin de la prospérité et de la stabilité politique, amélioré les infrastructures et restructuré l’approvisionnement énergétique.

Vous avez réglé d’une manière intelligente les contrats «hérités» avec Beny Steinmetz en faveur de votre pays, afin de générer à l’avenir de substantiels revenus supplémentaires pour le peuple de votre pays.

Autrement dit : vous avez créé un environnement politique et structurel favorable.

L’avenir de votre magnifique pays est prometteur :

  • la Guinée possède environ 2/3 des réserves mondiales de bauxite;
  • elle recèle en outre du fer, de l’or, du phosphate, du manganèse, etc.;
  • son agriculture est en pleine expansion;
  • et les caisses de l’État sont bien remplies.

De plus, la Guinée a un atout indiscutable:sa population. Car comme nous le savons tous, l’avenir appartient à la jeunesse—et en Guinée,60% de la population a moins de 25 ans, et 30% entre 25 et 54 ans!

Monsieur le Président, au cours des neuf dernières années, vous avez combattu la corruption et modernisé votre pays, ainsi qu’entamé les réformes nécessaires pour assurer un meilleur avenir à son peuple.

Vous avez étéprésident de l’Union africaine,et on vous considère comme un «sage»parmi les dirigeants politiques du continent.

Tout ceci est bel et bon. Or, voici que vous avez récemment soumis un texte visant à changer la Constitution de la République guinéenne afin de modifier le nombre limite de mandatsprésidentiels.

Pourquoi avoir fait cela?

L’Histoire, les tentatives effectuées dans des pays voisins de la Guinée —en dernier lieu au Burkina Faso il y a quelques années de cela—ont démontré que le peuple ne le veut pas. Le garant de la Constitution, c’est-à-dire le président lui-même, doit être le premier à respecter les textes, c’est lui qui doit être l’exemple même du respect de l’État de droit!

Monsieur le Président, vous avez fait un travail remarquable, vous avez la stature d’un homme d’État, du grand chefd’un grand pays.

Alors, pourquoi remettre tout cela en question? Par soif du pouvoir? Par manque de confiance envers vos compatriotes?

Monsieur le Président, vous faites erreur! Respectez la Constitution de votre pays et prenez une retraite bienméritée. N’ayez crainte :nombre de dirigeants africains vous demanderont conseil afin de profiter de votre perspicacité, de votre expérience et de votre sagesse. Vous avez un rôle important à jouer à l’avenir pour votre continent.

Monsieur le Président,je vous en conjure : entrez dans l’Histoire en tant que bienfaiteur de votre peuple ,et non en tant qu’homme assoiffé du pouvoir,responsable d’émeutes ayant coûté la vie de nombreux Guinéens dans les rues de Conakry.

Alpha, mon cher ami,

Nous nous connaissons depuis quelques années. Nous avons partagé notre table à plusieurs reprises —chez toi, chez moi, ou lors de repas plus officiels.

Je me souviens de notre premier dîneren commun, chez toi à Conakry. Nous n’étions que quatre, dont notre ami commun Bernard Kouchner. C’était peu avant ta première élection, et j’étais très impressionné par ta vision, ta volonté, ton engagement à vouloir changer les choses.

Cher Alpha, il ne fait aucun doute que tu as réussi. Juger un président est relativement facile pour son peuple. Il s’agit de faire un bilan comparant la situation à son arrivée et celle à son départ. Mon assiette est-ellepleine? Mes enfants peuvent-ilssuivre une bonne formation?Le système sanitaire fonctionne-t-il? La rue devant chez moi est-elle goudronnée? Puis-je me procurer de l’électricité et du gasoil à un prix abordable? Mes enfants ont-il saccès à une médecine de qualité?

Voilà les préoccupations majeures de la population de ton pays.

Cher Alpha, je l’affirme avec sincérité : tu as réussi à changer et à améliorer la vie quotidienne de tes compatriotes. Tu es un grand président!

Cher ami,toutes ces années tu as donné beaucoup, tu as travaillé énormément au détriment de ta vie privée, de ta santé, de ton propre bien-être. Tu auras quatre-vingt-deux ans cette année. Tu mérites de prendre enfin du temps pour les gens que tu aimes et surtout pour toi-même.

Je dois t’avouer que, te connaissant, je ne comprends pas que tu mettes ton œuvre en danger en cherchant à changerla Constitution de ton pays, contre la volonté du peuple que tu as servi si longtemps.

Je t’en prie, mon cher ami, respecte l’État de droit, la Constitution de la République et, par conséquent, ton peuple lui-même.

Tu as fait tout ce que tu as pu et ce, avec un succès considérable. Quitte tes fonctions en tant que grand homme d’État. Tu ne mérites pas de finir comme tant d’autres qui n’ont pas su reconnaître le bon moment pour quitter le pouvoir.

Si je t’écris ces quelques lignes, c’est par amitié pour un homme exceptionnel qui m’a dit il y a quelque temps, alors qu’il dînait chez moi : «Je ne serai pas comme ceux qui ne savent pas quand le moment est venu de partir».

Cher Alpha, tu mérites de vivre, durant les années qui te restent sur cette Terre, une vie comblée d’amour et de bonheur.

ALPHA KAFO AKAKE

En te souhaitant la sagesse de prendre la bonne décision, je te transmets mes pensées les plus affectueuses,

Jürg